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12h45 - Entretien avec la metteuse en scène Sandra Gaudin et la comédienne Marthe Keller, à l’occasion de la sortie de "Who plays who – la femme mystère". - Play RTS

Presse

Article sur Marthe Keller, 24 Heures, septembre 2023

24 Heures
30 septembre 2023

Le pinceau de la portraitiste. Une portraitiste amoureuse, bien sûr. A l’Octogone de Pully jeudi soir, devant le Tout-Lausanne, la metteuse en scène Sandra Gaudin a offert à Marthe Keller un spectacle qui est un portrait timbré, c’est-à-dire sorti de son cadre. Tout plane, tout glisse, tout coulisse dans Who Plays Who?, pièce inspirée de A Woman of Mystery, texte fugueur du cinéaste américain John Cassavetes. C’est ce mouvement qui vous emporte dans la psyché d’une comédienne – l’héroïne – qui pourrait être Marthe Keller, qui l’est, en tout cas le temps de la représentation, ce temps qui est ici celui d’un aveu.

– Alexandre Demidoff

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Who plays who : jeux d’ombre et de projection à l’Octogone

Sylvia Wiederkehr

Sandra Gaudin met en scène une pièce parlant de liberté et de faux-semblants, qu’elle a taillée sur mesure pour Marthe Keller. Celle-ci, accompagnée de comédien.ne.s à l’exhubérance burlesque et un duo piano et chant sensuel, nous plonge dans un voyage où l’intérieur de sa psyché et l’extérieur du monde se confondent. Projections d’un monde allant très vite, arrêts sur image où une liberté affichée et ombres fuyantes du passé s’entrechoquent dans Who plays who, création inaugurée à l’Octogone, Pully.

La détermination de Sandra Gaudin, comédienne et metteuse en scène suisse, pour trouver une pièce à la mesure de Marthe Keller aurait pu à elle seule faire l’objet d’une pièce. Initialement, « A Woman of mystery » n’a été jouée que deux semaines à Los Angeles devant un public restreint et… c’est tout. Le projet d’en faire un film s’est arrêté net suite à la mort de John Cassavetes, plongeant dans l’ombre cette femme de mystère. Jusqu’à ce que la création de Sandra Gaudin ne lui redonne un éclairage nouveau.

Dans le processus d’adaptation, Sandra Gaudin aime relever ce qu’elle « pense être le meilleur de la personne ». C’est en effet à partir des bribes et des recherches qu’elle a fait autour de cette pièce fantôme qu’elle a initié le processus de création de « Who plays who ».  Suivant la même démarche de John Cassavetes – « mettre l’acteur au centre » - elle a construit le fil de son récit avec les improvisations et travail au plateau avec ses comédien.ne.s. Ajoutant différents extraits d’auteurs (Godard, Bergman, et d’autres) qui se fondent dans l’histoire, Sandra Gaudin a également choisi de développer une trame esquissée dans le scénario de base, celle de la figure d’une jeune fille qui hante cette femme sans nom. Cette présence mystérieuse peut représenter la fille que la femme aurait abandonné durant sa jeunesse, ou qui serait morte lors d’un accident, selon l’entrechoquement des versions narrées sur scène. Apparaissant à des moments charnières de la pièce, cette jeune fille, habillée de façon similaire à la femme, semble être le seul lien qu’elle entretient malgré elle avec la réalité. Ces différentes couches de récit peuvent laisser entrevoir cette figure comme la conscience jeune et personnifiée de celle qui ne se nomme pas. Situation « très lynchienne », que Sandra Gaudin évoque comme l’ouverture vers une multiplicité de scénarios.

Revendiquant une liberté sans freins, sans attache et même sans nom (elle refuse de donner son nom, même à l’un de ses amis proches), la femme jouée par Marthe Keller se montre diverse, volatile et grinçante. Toutefois, cette notion de liberté est mise en tension par la fuite continuelle de son existence et de son refus d’une fixité de ses identités. La pièce nous montre un tableau éclectique d’une vie multiple dans une Amérique impersonnelle et extérieure. En effet, la scénographie sépare l’espace par des rideaux perlés, sur lesquels apparaissent des projections de décors. Ceux-ci souvent « arrêtés sur image » par la femme, lui permettant de commenter la situation par voix off, peuvent également se faire projection mentale de sa vie filtrée par son propre imaginaire. Ce procédé ne semble jamais totalement trancher entre fiction et réalité. L’impression d’être dans un rêve continu, disparate entre les différentes scènes, se réalise d’autant plus que les personnages virevoltant autour de ce mystère ambulant représentent différents archétypes comiques et caricaturaux (un homme d’affaire trop pressé, un Columbo prototypique ou encore l’ami mondain de la femme exubérant et mondain, joués par les membres de la Compagnie Un air de Rien). On notera la transformation de certaines scènes originelles : l’apparition de SDF à l’entracte dans la pièce d’origine a été modifié en une scène marquante. La femme se trouve confrontée à une dame pipi qui se lance dans une logorrhée insultante envers la femme qui n’a pas de domicile fixe, se déplaçant sans cesse avec ses sacs « parasite, t’as pas honte ». Une fois le personnage principal parti, on comprend que cette dame pipi, continuant sa tirade et se préparant pour passer la nuit à l’extérieur, n’est pas autre que celle qu’elle a auparavant insulté. Cette exubérance affichée, toujours à la brèche d’une fissure certaine, permet de jouer les cartes de l’être et le paraître où ne répondre d’aucune identité se présente comme un choix parmi d’autres.

La multiplicité des possibles ne manquera toutefois pas de confronter la femme à ses fantômes du passé. Celle-ci entend toujours chasser ces zones d’ombre par des moments de vie fracassantes et parfois trop clinquantes pour sonner vrai. C’est toutefois à l’écoute d’un morceau magnifiquement interprété par Maria de la Paz, accompagnée par Arthur Noël, duo ancré dans la réalité face à cet univers de faux-semblants, que la femme se voit arriver à un point de crise. Celle-ci ne pouvant cacher ce que la musique dévoile de ses affects, elle fait le choix de confronter cette ombre qui lui fait face. S’effaçant derrière les rideaux perlés à la fin de la pièce, on ne sait finalement plus who played who. Au fond, est-ce que cela avait réellement une importance, quand on se présente comme une femme à la vie sans destin et sans nom ? Que représente le coût d’une liberté totale, cette liberté l’est-elle vraiment ? et que nous reste-t-il ? De belles images, des questionnements que l’on peut projeter sur soi et un chant entêtant, nous forçant, par l’émotion, à nous dévoiler tout de même un peu. De manière générale, l’image vibrante des corps livrés à l’écoute silencieuse offrent des moments en dehors d’une certaine superficialité. On saluera le soin accordé à la bande-son composée par Arthur Besson. Bien que les sons d’arrêt sur image auraient pu se passer à notre goût de certains carillons prototypiques, d’autres effets signalétiques ou démarches d’explicitation du texte, le tout joue parfois sur un explicite dont la pièce pourrait se permettre l’économie, au vu de la richesse et de la narration déjà présente.

Parce que tout ce qui ressemble à des étiquettes nous définit, nous finit, l’enferme.